La guerre du sang

La guerre du sang





L'institut de recherche temporelle bourdonnait d'une efficacité tranquille. Traala observait les travailleurs affairés sur leurs stations en contrebas et hocha la tête d'approbation. Les problèmes causés par ce renégat et Noye le traître avaient générés quelques tensions, mais ici, en son domaine, tout était en ordre. Elle retourna dans son bureau pour finir quelques rapports avant son prochain meeting.

Traala l'attendait avec impatience. Sa cousine, Zidia, avait demandé à prendre un peu de son temps au cours de sa journée chargée pour une réunion spéciale. Habituellement, sa jeune cousine était beaucoup plus spontanée et perturbatrice. Traala travaillait à l'aider à modérer son enthousiasme. Peut-être que ses efforts avaient fini par payer.

"Cousine !" cria Zidia en sautillant vers le bureau de Traala avec cinq minutes de retard, et sans son uniforme. D'accord, elle était en pause, mais il s'agissait d'une réunion officielle ! Zidia n'était peut-être pas encore totalement une adulte, en fin de compte.

"Bonjour, Zidia," dit Traala en s'avançant pour embrasser sa cousine et lui montrer le siège le plus proche. Elle retourna à son propre fauteuil et joignit ses mains sur le dessus de son bureau. "De quoi voulais-tu me parler ? Ton travail sur le champ de capteurs a été exemplaire, alors si tu t'inquiètes pour ton relevé de performances..."

"Non, ce n'est pas ça," l'interrompit Zidia avec un signe nonchalant de la main. "Je n'ai pas le droit de prendre des nouvelles de ma cousine ? Tu étais pratiquement ma grande sœur, après tout." Le sourire souvent moqueur de Zidia s'adoucit. "Combien de fois m'as-tu aidée à ne pas me fourrer dans le pétrin ?" se demanda-t-elle à haute voix en secouant la tête. "Nous avons de la chance d'avoir encore une famille, tu sais. Et j'ai toujours été fière de t'avoir à mes côtés."

"Et tu réussissais toujours à te fourrer quand même dans le pétrin malgré tous mes efforts," rétorqua Traala alors que ses épaules se détendaient un petit peu. "Tu es un ingénieur très doué, et tu as un avenir radieux devant toi. Je suis tellement contente que tu sois parvenue à te calmer un peu et faire preuve de maturité. Je voulais juste m'assurer que tu puisses réaliser ton plein potentiel."

Zidia lui adressa un sourire en coin. "Ouais, d'une certaine façon, c'est aussi la raison pour laquelle je suis là."

"Oh ?"

"Oui, je voulais avoir ton avis au sujet de quelque chose. C'est important pour mon avenir. Pour notre avenir."

Traala fronça les sourcils d'un air soucieux. "Je vois. Qu'est-ce qui te préoccupe ?"

"Je ne peux pas m'empêcher de penser à ce qu'il s'est passé. Au fait qu'il reste si peu d'entre nous, à présent."

"Encore ça ? Ne t'inquiète pas. Nous pourrons régler les éventuelles impasses génétiques grâce aux techniques médicales modernes dans le domaine. Nous avons survécu à cette épreuve et nous nous en sortirons-"

"Non, ce n'est pas ce que je voulais dire," rétorqua Zidia en coupant la parole à son aînée.

Traala se rassit dans son fauteuil, frappée par la surprise. "Que veux-tu dire, alors ?"

"Je veux dire que nous avions la chance de tout restaurer comme avant. Ne penses-tu pas que nous aurions dû en profiter un tout petit peu ? Peut-être pas en arriver aux mêmes extrêmes que Noye, mais au moins quelque chose ? Nous avons perdu tellement de gens contre les Iconiens et les Vaadwaurs !"

Traala gronda. "Il est dangereux d'abuser de la technologie temporelle ! Pense à tous les gens qui auraient pu mourir si Noye n'avait pas été découvert !"

Zidia s'avança sur sa chaise. "Je pense à tous ceux qui sont morts. Qui n'ont jamais existé."

"Tu ne peux tout de même pas croire ce que ce traître de Noye a dit !"

"Ses propos sont bien plus logiques que bien d'autres choses que j'ai pu entendre."

"Zidia ! On pourrait tout aussi bien tout perdre !"

"N'est-ce pas déjà le cas ? Nous avons perdu presque tout notre peuple. Notre colonie est tout ce qu'il en reste."

"Ce n'est pas une raison pour utiliser cette technologie à la légère ! C'est dangereux !"

"Mais cela pourrait nous être tellement bénéfique ! Cela ne serait-il pas merveilleux d'avoir d'autres colonies ? De disposer de plus d'une poignée de complexes, et de ne plus avoir à compter sur une aide extérieure pour les bâtir ?"

"Nous parviendrons à redevenir complètement auto-suffisants-"

"Nous sommes finis ! Combien de temps nous reste-t-il avant de ne plus pouvoir exister en tant que peuple ? En tant que culture ? Il y a des gens dans mon département qui ont déjà commencé à écouter des classiques de la musique humaine ! Ce qu'il nous reste peut à peine être considéré comme de la musique, et encore moins comme un classique !"

"C'est cette musique qui ressemble à des cris d'animaux énervés ?"

"Ce n'est pas le sujet ! Nous pourrions changer les choses !" Zidia se leva et se pencha sur le bureau. "Traala, tu as toujours pris soin de moi. Si je suis encore en vie, c'est parce que tu m'as trouvé un travail dans ton équipe. Je ne voulais même pas faire partie de la colonie, mais tu as cru en moi, alors je t'ai suivie. Aujourd'hui, le reste de notre famille est morte à cause des Vaadwaurs. Ne penses-tu pas que ce serait une bonne chose de les ramener ? Tu sais que je t'aime, mais il va falloir te réveiller et regarder un peu autour de toi ! Nous pourrions devenir tellement plus que ça !"

"Zidia, on ne peut pas juste modifier le temps comme ça ! Ce n'est pas juste envers nous, et certainement pas envers le reste du quadrant. Ce qui est fait est fait !"

"Je me moque de ce qui est juste ou pas !"

"C'est tout simplement mal !"

"Et les Vaadwaurs qui nous ont exterminés comme des insectes, c'était juste peut-être ?"

"Non, mais-"

"Mais rien du tout ! Nous avons les moyens de réparer tout ça !"

"Zidia, tu ne peux tout de même pas croire que-"

"Sécurité à Traala," l'interrompit l'officier Orndal.

Traala leva la main pour interrompre sa conversation actuelle le temps de lui répondre. "Je suis un peu occupée pour le moment, Orndal," répondit-elle en espérant que les stigmates de sa dispute avec sa cousine ne s'entendent pas trop dans sa voix.

"Oh, hm, superviseur ? Vous devriez quand même venir jeter un œil.";

Traala fit une pause. Il y avait quelque chose dans le ton du jeune officier qui lui avait immédiatement mis la puce à l'oreille. "J'arrive dans un moment." Elle interrompit la connexion. "Tu peux me donner juste cinq minutes ? Il doit probablement se faire du soucis pour rien, et cette conversation commençait à... s'échauffer."

Zidia la regarda sans rien dire pendant un moment, puis se rassit dans son siège d'un air maussade. Elle acquiesça. "Tu peux prendre dix minutes."

Traala laissa sa cousine dans son bureau et alla retrouver Orndal à la station de sécurité. "Alors, qu'est-ce qui se - Oh."

Les écrans du petit bureau montraient des images de leur colonie. C'était le chaos. Les bâtiments étaient en flammes. Il y avait des combats dans les rues. L'un des écrans montrait un message préenregistré. Le son était coupé, mais les sous-titres réclamaient justice pour le peuple Krenim et pour Noye. Ils appelaient à la libre utilisation de la technologie temporelle.

"C'est affreux," dit Traala, les yeux rivés sur l'écran. "Sécurisez le complexe ! Je suis sûre que tout va rentrer dans l'ordre, mais ne rajoutons pas de l'huile sur le feu."

"Oui, madame," répondit Orndal en faisant valser ses doigts sur les touches du clavier.

Traala se retourna pour revenir dans son bureau, mais se trouva nez à nez avec un phaseur pointé vers sa poitrine. "Zidia ?"

"J'aurais espéré pouvoir être celle qui te tire du pétrin, cette fois," dit Zidia avec un sourire triste. "Je pensais pouvoir te convaincre de nous rejoindre. Je suis désolée," continua-t-elle. Elle appuya sur la détente et Orndal s'écroula sur le sol, assommé.

"Zidia !"

"Il est juste dans les pommes.
Dernière chance, cousine. Tu pourrais nous être tellement utile, de l'intérieur."

"Jamais !"

Zidia soupira. "Alors, il doit en être ainsi." Elle appuya sur la détente et Traala s'effondra, inconsciente.

Zidia vérifia le pouls de ses deux adversaires, puis désactiva le verrouillage de sécurité de la station. Puis elle sortit du bureau pour partir accomplir sa mission. C'était dommage qu'elle ne soit pas parvenue à recruter Traala, mais elle s'en doutait : sa cousine avait toujours été très attachée au règlement. Elle atteignit son objectif, puis embarqua à bord d'un petit runabout pour quitter la station. Cela prendrait un long moment avant que quiconque ne réalise ce qu'elle avait dérobé. Et quand cela arrivera, peut-être sera-t-elle parvenue à convaincre ce qu'il restait de sa famille qu'elle avait raison, pour une fois.


Source : La guerre du sang