[PC] De la terre jusqu'au ciel« De la terre jusqu'au ciel »Le son de la cloche en bronze de 12 tonnes s'élevait à plein volume du haut-parleur situé au-dessus de l'autel de la petite maison de prière, comme dans toutes les maisons de prière du monde. Et comme tous les prêtres de toutes les autres maisons de prière, Emerin souleva à cet instant précis le calice rempli de l'eau qu'il avait bénie plus tôt dans la journée. Sa congrégation chantait en chœur au rythme de la musique qui sourdait du haut-parleur, battant la mesure de ce rituel mensuel. Alors que l'incantation atteignait son apogée, Emerin versa l'eau bénite sur l'autel de pierre autour duquel le sanctuaire avait été construit, un conduit vers les Dieux inférieurs. Un autre son de cloche retentit, signalant la fin du rituel.
Le prêtre reposa le calice, s'agenouilla face à la pierre, et embrassa l'énorme rocher devant lui. « Que les Dieux nous protègent un mois de plus, » récita-t-il sur un ton empli de déférence.
« Un autre mois de protection divine, » répondit la congrégation. Emerin pouvait entendre de nombreuses émotions dans leur réponse collective : de l'amour, du respect, du dédain... voire même de la peur. Cela n'avait rien d'inhabituel ; tous au sein de la congrégation ne partageaient pas sa dévotion envers les Dieux. Certains, pensait-il même, ne devaient pas
croire en eux.
À leurs risques et périls.
Sa tâche la plus sacrée à présent terminée, il se releva pour accompagner ses fidèles dans leurs prières hebdomadaires. Il prit un moment pour regarder autour de lui, ses prières suffisamment ancrées dans son esprit pour ne pas avoir à se concentrer sur les mots qu'il prononçait. Il avait eu de la chance d'avoir été assigné à cette maison de prière ; sa congrégation était riche et maintenait le bâtiment en bon état. En dehors du système de haut-parleur, géré par le temple central, chaque maison de prière dépendait de la générosité de ses membres, tel qu'il avait été dicté par les Dieux.
En plein milieu des prières, le sol se mit à trembler, mais personne ne fit mine de réagir. Les secousses étaient chose courante. Elles n'étaient jamais très fortes, et ne duraient pas plus d'une minute ou deux. Les écritures décrivent ces phénomènes : ils proviennent des pierres sacrées qui s'enfoncent profondément dans le sol jusqu'au centre de la planète où résident les Dieux.
Au bout de cinq minutes, cependant, le tremblement de terre n'avait toujours pas cessé et la congrégation commença à s'agiter. La plupart continuèrent leurs prières, mais quelques-uns parmi les plus jeunes membres jetèrent un œil sur leurs petits écrans portatifs en quête d'informations disséminées sur les réseaux planétaires. Un journal en direct montrait une vue plongeante du Temple de Haute Sainteté dans la capitale, mais n'avait encore aucune révélation à apporter.
Le séisme commença à gagner en intensité, et une voix s'éleva du haut-parleur. Elle appartenait au Grand prêtre Ortacon, le chef des Zélotes, seul résident du Temple de Haute sainteté. D'habitude, le Grand prêtre ne s'adressait aux Zélotes que les jours saints... ou lors d'événements de grande importance.
« N'ayez crainte, peuple de Nolia, entonna-t-il de sa riche voix de baryton. Les Dieux se réjouissent de notre foi inaltérable ! Les écritures parlent de leur danse divine qui annonce la... »
Le silence s'abattit soudain sur le haut-parleur.
Des hoquets de terreur et autres signes d'inquiétude se firent entendre. Les membres de la congrégation avaient désormais tous les yeux rivés sur les images cataclysmiques de leurs écrans personnels. D'immenses fissures se formaient sur les murs du Temple de Haute sainteté, et des morceaux du bâtiment s'écrasaient dans les ruelles en-dessous. L'apparition de lézardes similaires dans leur propre maison de prière commença à semer la panique dans le cœur des fidèles. L'heure était venue pour Emerin d'agir et de mener sa congrégation en sûreté.
*****
« Les écritures parlent de leur danse divine qui annonce la... »
Le Grand prêtre cligna des yeux, éperdu, alors qu'un morceau de la charpente s'écrasait à quelques centimètres seulement de son autel, écrasant impitoyablement son matériel d'enregistrement. Les prêtres présents étaient en proie à la panique, le suppliant de partir, de les suivre pour se mettre en lieu sûr.
« Un lieu sûr ? railla Ortacon alors qu'il s'approchait de la Grande pierre des Dieux au centre de son foyer, le Temple de Haute sainteté. Peut-il y avoir de lieu plus sûr qu'aux côtés de nos Dieux, nos protecteurs ? » Les débris pleuvaient à travers la pièce alors que des fissures zébraient les murs et le luxueux dallage. Pourtant, le Grand prêtre refusait de bouger. « Les Dieux nous protégeront ! » cria-t-il, empreint d'une foi inébranlable.
Les quelques prêtres encore présents, cependant, se sentirent nettement moins inébranlables et s'enfuirent hors du bâtiment qui s'écroulait.
Alors que le dernier d'entre eux regardait en arrière, le Grand prêtre avait déjà disparu. Le sol s'était ouvert sous ses pieds et l'avait inexorablement avalé. Le jeune prêtre pria pour qu'il soit aux côtés des Dieux, désormais.
*****
Le Temple de Haute sainteté et tous les édifices alentours s'effondraient sous l'assaut du tremblement de terre de plus en plus violent. Aux quatre coins du monde, les gens assistaient au désastre par écran interposé. Les secousses se ressentaient partout, mais leur intensité culminait près des sites sacrés. Là, les débris se mirent à se soulever du sol et dégringoler alors que de larges objets émergeaient des profondeurs.
De l'antre des Dieux.
La panique s'était emparée de la planète : les Dieux détruisaient leurs temples et quittaient leur royaume souterrain. Pour Emerin et de nombreux autres Zélotes, c'était la seule explication plausible. D'une façon ou d'une autre, les fidèles devaient s'être attirés la colère des Dieux. Alors que les immenses vaisseaux divins s'élevaient dans les cieux, une pluie de roche et de feu s'abattit sur la terre, brûlant et détruisant tout sur son passage.
*****
Emerin le prêtre s'agenouilla sur la route, et se mit à prier. Il leva les yeux vers le ciel alors que les vaisseaux des Dieux disparaissaient à sa vue en s'éloignant vers leur domaine céleste. Son temple était détruit. La majorité de sa congrégation avait survécu à la colère des Dieux. Ils se blottissaient les uns contre les autres non loin, brisés et terrifiés, et leur foi n'en fut que renforcée. Tous les yeux étaient tournés vers lui, leur chef. « Délivrez-nous, » avaient-ils dit.
Avec une extraordinaire excitation, il se leva et se dirigea lentement vers le cratère fumant où se tenait auparavant sa maison de prière. On aurait dit qu'il s'enfonçait ainsi jusque là où les Dieux sommeillaient, un abîme sans fond. Il embrassa les alentours du regard, balayant à la fois les décombres et ses fidèles. La voie était claire.
« Entendez-moi ! », dit Emerin aux pauvres hères. « Et réjouissez-vous, car nous sommes en vie. Le monde demeure. Nous reconstruirons. »
« Et les Dieux, alors ? » demanda un homme entouré par sa famille non loin. « Ne sont-ils pas en colère ? »
« Ils nous ont montré le chemin, répondit calmement le prêtre. Ils nous ont appris tout ce que nous devons savoir, et ont regagné leur foyer céleste. Notre liberté est le dernier cadeau qu'ils nous ont fait. »
Et sur ses mots, Emerin et ses fidèles se mirent au travail.
Source :
[PC] De la terre jusqu'au ciel