[PC] Le chaînon manquantMalgré son désir intense de rejoindre le Grand Lien, après cinq longues années dans l'espace, Nuno attendit le départ de son dernier membre d'équipage avant de débarquer. Il observa les Jem’Hadars s'engouffrer dans la base, suivis par Adiss, son Premier officier vorta, puis il mit enfin pied à terre, caressant légèrement la coque du vaisseau d'une main à la peau craquelée tandis que la porte se refermait derrière lui.
Il avait quitté le Lien de nombreuses années auparavant pour une mission plutôt controversée. Il s'était donné pour objectif de mener une petite compagnie de Vortas et de Jem’Hadars dans une mission d'exploration au plus profond du quadrant Gamma. Lorsqu'il fallut leur attribuer un vaisseau d'exploration et que Nuno se proposa, lui – un Changeant – pour les accompagner, la décision fit bien des remous au sein du Lien. Il les convainquit que son équipage trouverait de formidables ressources, de nouvelles espèces que le Dominion pourrait absorber, et même une planète capable d'accueillir un nouveau Lien.
Un Vorta pouvait mener des Jem’Hadars avec succès dans de nombreux domaines, mais l'exploration, la recherche et l'étude de l'inconnu – cela demandait une certaines
ouverture d'esprit. Un serviteur ne pouvait pas diriger une telle mission. Elle nécessitait une volonté que seul un Fondateur pouvait posséder. Sa passion inonda le Lien, si bien qu'au moment où il s'en scinda pour sélectionner son équipage, il n'y avait plus aucune objection.
Son vaisseau n'avait pas été baptisé au moment de l'embarquement, mais Adiss l'appelait
Palanquin, puisqu'il transportait un dieu. Nuno avait trouvé ce nom approprié et avait autorisé cet usage à son Premier officier. Peu de temps après, il se choisit un nom ; bien que les Vortas et les Jem’Hadars aient l'habitude de l'appeler « Fondateur » chaque fois qu'il était nécessaire de s'adresser directement à lui, les autres espèces inférieures n'étaient pas si enclines à les imiter. Des données provenant d'autres quadrants suggéraient qu'un nom propre rendaient les relations diplomatiques plus aisées avec ces êtres primitifs. Si son nom avait une signification, il l'ignorait. Il aimait juste sa sonorité.
Les Jem’Hadars, avec à leur tête un Premier compétent du nom de Irit’Ikan, étaient à la fois robustes et parfaitement adaptés aux voyages à longue distance. Ils nécessitaient également moins de kétracel blanche pour atteindre le meilleur de leurs performances, ce qui rendait ce voyage sans précédent aux confins de l'espace encore plus efficace.
Nuno et son équipage avaient enduré beaucoup d'épreuves au cours de leur mission, et le nombre de Jem’Hadars à bord de son vaisseau était d'ailleurs bien inférieur à son effectif initial. Ils avaient été abordé par d'étranges créatures gazeuses ; affronté des tempêtes de radiations intenses, et survécu un temps, échoués sur une planète morte, abandonnée par son étoile. Lorsque les provisions se firent rares, Irit’Ikan se porta volontaire pour donner ses rations de kétracel blanche, et Nuno l'aida à traverser la période habituellement fatale de sevrage, jusqu'à ce que Adiss (Adiss 5 pour être exact) ne trouve un produit de substitut. Avec le temps, Nuno connaissait le nom de chacun de ses soldats jem'hadars et avait appris à respecter l'audace et les qualités de meneur d'Adiss. Ils avaient affronté des épreuves difficiles ensemble, et maintenant ils pouvaient profiter d'un repos bien mérité.
Tandis que Nuno sortait du hangar, un Vorta l'approcha candidement. Il regardait Nuno avec des yeux emplis de ferveur, et il se courba légèrement. Il donna à Nuno toute la déférence qui lui était due, mais en tant que porte-parole de la Changeante connue simplement sous le nom de la Fondatrice, ce serviteur avait droit lui aussi à quelques égards.
« Je suis honoré de vous recevoir, Fondateur, dit le Vorta. J'espère que votre longue mission vous fut agréable, et que vous avez de nombreuses histoires passionnantes à partager avec votre peuple. »
« Agréable ? Parfois. Des histoires passionnantes ? » Nuno sourit ; malgré les épreuves, il avait appris à maîtriser la contraction des zygomatiques pendant son voyage. « Oui, beaucoup. J'ai accordé une permission à mon équipage, mais ils feront un rapport sur leurs propres découvertes en temps voulu. Je souhaiterais rejoindre le Lien, si vous me le permettez ? »
« Ah, oui. Bien... » bafouilla-t-il. Il se pinça les lèvres et se frotta la gorge comme pour ajuster son col. « Oui, bien sûr, le Lien vous attend. Mais votre équipage... » Sa voix geignarde se réduisit à un murmure : « Ils doivent être déployés immédiatement. Ils sont demandés sur le front. »
Nuno n'avait jamais été doué pour retenir ses émotions. Il savait (d'après les observations d'Adriss, car c'était involontaire) qu'il grandissait légèrement lorsqu'il était en colère, et sa peau devenait plus épaisse, similaire à du cuir. Le jeune Vorta en face de lui n'avait jamais été témoin de ce genre de réaction auparavant, et son effroi se lisait sur son visage à mesure que Nuno le dépassait. Le Changeant inclina la tête et sa voix se transforma en une espèce de grognement.
« Nous sommes parti pendant cinq ans. Nous avons affronté des périls que mêmes les Fondateurs ne peuvent imaginer, et plus de la moitié de mon équipage a succombé au conflit ou à la famine. Quelle bataille est si importante pour que mes hommes se voient refuser le moindre instant de répit ? »
Le Vorta, à l'inverse, semblait rapetisser. « Je l'ignore. Veuillez me pardonner. Je ne fais que vous transmettre les paroles des Fondateurs. »
Le regard de Nuno se perdit derrière son interlocuteur et il prit congé sans se donner la peine de répondre. Il s'approcha d'un terminal et chercha l'historique récent, les rapports de flotte et les envois de troupes. Des batailles contre un ennemi appelé les Hur’qs y figuraient, mais selon ces rapports, il n'y avait aucune raison de s'inquiéter et tout menait à penser que le Dominion serait victorieux sous peu. Nuno ne vit rien qui justifiait qu'un équipage d'exploration éreinté soit envoyé au plus vite sur les lignes de front.
Il décida de continuer sa recherche. Listes des troupes. Statistiques des retours de Vortas. Inventaires des armes. Demandes de déploiement. Demandes d'appontement. Registres des réparations. C'était cohérent, en majorité. Tout correspondait à une guerre.
Un détail attira son attention : le nombre de vaisseaux partant des bases stellaires à proximité des lignes de front était bien supérieur à celui des vaisseaux demandant des permissions d'apponter après la bataille. Soit ces vaisseaux restaient actifs bien plus longtemps qu'ils ne le devraient... soit ils ne revenaient pas du tout. La disparité était énorme. Pour cinq vaisseaux qui partaient, à peine trois revenaient. Aucune raison de s'inquiéter, vraiment ? Les rapports mentaient.
Nuno se frotta la tempe et sentit sa peau de desquamer. Il lui fallait se régénérer très prochainement. Il se retourna et sortit de la base, se dirigeant à grandes foulée vers le Grand Lien. Les autres étaient-il au courant de cette hécatombe secrète se propageant à travers tout le Dominion ? Comment pourraient-ils l'ignorer ? Mais si cela était le cas, il fallait les en avertir. L'enjeu était trop important pour laisser le futur reposer sur des mensonges.
Enfin, après une marche ponctuée de questionnements sans réponses et de pensées peu rassurantes, il aperçut en face de lui le Grand Lien s'étendant de part et d'autre de l'horizon. Il sentit sa chair le tirer dans sa direction, désireuse d'une réunification qui lui manquait tant après toutes ces années. Son esprit se sentait terriblement seul, confiné dans cette forme individuelle, à vivre parmi d'autres individus pour ce qui lui semblait être une éternité. Il avait hâte de partager ce qu'il avait appris, ce qu'il avait vu, et les troublants résultats de ses récentes recherches.
En cet instant, il n'avait plus qu'une idée en tête. Rejoindre le Grand Lien. Il sentit à peine la douce étreinte d'une main sur son épaule au moment où il atteignit la bordure dorée du lien.
« Bienvenue, Nuno. Vous nous avez manqué grandement, dit la voix mielleuse de la Fondatrice.
Il se retourna et la vit sourire de ses fines lèvres, elle se tenait juste devant lui. À ses côtés se trouvait un autre Changeant du nom d'Odo qui avait lui-même enduré une séparation pendant une période prolongée. L'arrivée de Nuno avait interrompu une conversation, et il se rendit compte que sa venue inopinée contrariait quelque peu Odo.
La Fondatrice posa ses mains sur ses épaules. « Le Lien vous attend, explorateur. J'ai hâte de savoir ce que vous avez vu. »
Nuno regarda la Fondatrice dans les yeux. « J'ai vu beaucoup de choses... notamment ce qui ressemble fort à des mensonges, au sujet du conflit avec les Hur’qs. Je sais que j'ai manqué de nombreuses choses, et j'espère les rattraper en rejoignant le Lien. »
Le sourire de la Fondatrice se crispa, et ses yeux n'exprimaient plus la même bienveillance. « Le Lien sait tout ce qu'il doit savoir, dit-elle presque comme un reproche. Il n'a pas besoin de se soucier des détails de la guerre. »
« Le Lien n'est donc pas au courant ? Notre peuple est aveugle, et en toute connaissance de cause ? Quand cela a-t-il débuté ? »
Le sourire de la Fondatrice se dissipa pour de bon. « L'adversité requiert notre discrétion. Vous, mieux que quiconque, devez savoir cela. Voudriez-vous voir le Lien en profond désarroi ? Voudriez-vous nous séparer en fractions d'avis contraire sur comment poursuivre cette guerre ? elle fit une pause et sourit à nouveau. Tout est sous contrôle. Nous sommes les Fondateurs, après tout. »
Nuno lança un regard à Odo, dont le visage renfrogné n'avait pas changé. « Je comprends. Je ferai de me mon pour garder cela pour moi. Mais viendra un moment où – »
La Fondatrice l'interrompit. « Quand ce moment arrivera, nous prendrons les décisions qui s'imposent. Comme toujours. » Elle tapota son épaule, et s'éloigna.
Nuno hocha la tête. Il regarda avec envie le Grand Lien avant de faire demi-tour. Il allait se trouver un réceptacle et s'y régénérer, comme il l'avait fait pendant ces cinq dernières années dans l'espace. Il savait qu'en se joignant au Lien, une information aussi délicate aurait tôt fait de se répandre, comme une rivière dans l'océan.
En partant, il sentit une autre main sur son épaule. Il se tourna pour faire face au visage buriné d'Odo, qui lui dit après une pause : « Je veux savoir tout ce que vous avez appris sur la guerre contre les Hur’qs. Et si vous apprenez quelque chose d'autre, venez me voir. Je vous crois. »
Alors qu'Odo le dépassait pour rejoindre la Fondatrice, Nuno se dirigea vers un endroit où se régénérer un moment avant d'embarquer à nouveau. Il allait devoir envoyer son équipage mourir au front, mais après cinq années à vivre à leur côté, il n'allait pas les envoyer à leur mort seuls.
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