[PC] Chantre des traditionsQuand les vivats éclatèrent, toutes les coupes n'étaient pas levées dans le hall. Comme après chaque performance, Juvat savourait le désaccord autant que l'admiration tandis qu'elle avalait son vin de sang avant de plonger sa coupe dans la cuve pour un second service. Les guerriers klingons pouvaient chercher la gloire par leurs bat'leths, mais un chantre des traditions possédait une arme bien plus puissante : la foule.
Juvat faisait partie des plus jeunes et impétueuses de Qo'noS, ce qui lui apportait une certaine notoriété. Plutôt que de passer son temps à prêcher les convertis dans les rues de la Cité Première, elle cherchait les tavernes, bars et autres lieux de boisson où la foule était inamicale, sinon hostile. Son rôle, selon elle, consistait à changer les mentalités, à répandre la vérité, et peut-être, les bons soirs, à participer à quelques bagarres. Lorsque le sang coulait aussi librement que le vin de sang, alors elle considérait avoir réussi sa performance.
Elle savait que son peuple avait désespérément besoin d'une poussée d'adrénaline et du réconfort d'un éclat de violence. Le retour des Hur'qs avait ébranlé la culture klingonne toute entière telle qu'aucune autre menace depuis des siècles, que ce soit la Fédération, les Iconiens ou le Dominion. Les terreurs infantiles de générations de Klingons s'avéraient réelles, et nombre d'entre eux se tournaient vers les chantres du savoir pour confiner les Hur'qs dans la sécurité du mythe.
Ce n'était pas l'intention de Juvat. Par les enseignements de Kahless, par la parole du grand héros de Qo’noS, son peuple devait être fort, féroce, et prêt à vaincre leurs anciens ennemis. Ses mots ravivaient la fierté de la race klingonne, la puissance et le courage de Kahless, et affûtaient chaque spectateur en une arme prête à défendre le sang. Ça fonctionnait pour la plupart, mais il y avait toujours des défis à ses convictions.
Bien, pensa Juvat, tournant son regard vers une table de sceptiques qui n'avaient pas semblé apprécier sa performance. Elle les fixa un moment du regard, puis vida son vin de sang et se faufila vers leur table, sa coupe tenue comme une arme contre son flanc.
« Vous n'avez pas apprécié le spectacle ? » demanda-t-elle en posant bruyamment son gobelet sur la table, avant de se pencher vers ses occupants avec une fureur grandissante. Elle regarda chaque homme dans les yeux, et tous baissèrent immédiatement le regard. Tous sauf un. Elle grimaça. « Quelles sciences étudiez-vous ? Car vous n'êtes pas des guerriers. »
Celui qui avait soutenu son regard se pencha en avant. « Fichez-nous la paix,
chantre du mensonge, grogna-t-il. Quand nous venons dans un tel endroit, nous nous attendons bien à y trouver un
yIntagh comme vous en train de cracher ses inepties pour attirer l'attention. »
Juvat se redressa, levant un sourcil vers l'homme. « Je suis Juvat, fille de Kurn, de la Maison de Mogh. Ainsi, vos amis sauront qui vous a tué. »
L'homme gronda. « Ne m'attirez pas dans vos illusions de puissance,
petaQ. Il est déjà bien dommage que ces imbéciles boivent vos paroles ignorantes. » Il se leva, un mouvement inattendu qui déstabilisa Juvat. Ceux à sa table se regardèrent puis s'installèrent plus confortablement pour savourer le spectacle. Ce n'était apparemment pas la première fois.
« Mes amis, » appela l'homme, les bras bien écartés. « Je suis Kalol, fils de Mekt. En tant qu'historien et astrobiologiste, j'ai étudié la « Renaissance » présumée de Kahless, et je peux vous dire que placer votre foi dans les paroles de cette sorcière est comme vous rouler dans les déjections d'un targ ivre. »
Juvat grogna et s'approcha de Kalol. « Vous crachez à la face de l'histoire,
scientifique. » Elle balaya la foule de plus en plus silencieuse du regard afin de les prendre à témoin. « Je suppose que vous voulez parler du retour de Kahless, et l'accuser de ne pas être ce qu'il semblait ? »
Kalol se tint le menton et ricana. « Il devrait être évident que le Kahless qui est revenu n'est qu'un clone, destiné à manipuler les masses en soutenant une ferveur basée sur des mythes, à attiser la violence et à écraser toute pensée individuelle. Et maintenant vous parlez des Hur'qs, les mêmes anciens ennemis prétendument vaincus par Kahless. Et eux aussi, à présent, seraient de retour ? »
L'érudit avança et plaça son visage à quelques centimètres de celui de Juvat, un appel à l'affrontement classique parmi les anciennes générations klingonnes. « Êtes-vous à court d'histoires, chantre du mensonge, pour devoir dépoussiérer les vieux classiques et les resservir comme nouveautés ? »
La foule retint un instant sa respiration, sous le choc, avant d'exploser d'un rire gras et moqueur. Le poing de Juvat se resserra, sa main cherchant la poignée de son
d’k tagh. Un mouvement vif, et la dispute serait achevée. Ce n'était pas un guerrier ; ça serait facile. Mais Juvat était un chantre des traditions. Elle avait une meilleure façon de le détruire.
« En effet. On prétend que le Kahless ressuscité est un clone, dit-elle. C'est fort possible. Considérez, cependant, que nos plus grands guerriers partent au combat à bord de vaisseaux munis de boucliers déflecteurs et de moteurs à distorsion, armés de torpilles et de disrupteurs. La présence de la science n'entrave pas la gloire du combat. »
Kalol leva un sourcil, et la foule se calma à nouveau. Juvat continua.
« Qu'est-ce qu'un clone, si ce n'est une résurrection née de la science ? N'est-ce pas, de toutes les façons qui comptent, Kahless qui est sorti de votre prétendu laboratoire de clonage ? Ses gènes seraient ceux de Kahless, son corps celui de Kahless... son courage, le courage de Kahless. »
Kalol croisa les bras.
Bien, pensa Juvat.
Le voilà sur la défensive.« Qui a cloné Kahless, alors ? » demanda-t-il. « Et dans quel but ? Si Kahless n'est pas surgi soudainement de la foi collective de son peuple, se moqua-t-il, alors quel bénéfice y aurait-il à le recréer ? »
Il y eu un moment de silence, et Kalol saisit cette opportunité pour attaquer. « Vous, et tous ceux qui répandent la parole de cet imposteur cloné, et ces histoires d'Hur'qs tout droit sorties de nos contes pour enfants, ne faites que servir la cause de ceux qui veulent que nous continuions à nous battre, à saigner et à périr pour leurs intérêts. Vous dites parler d'histoire, mais ce que j'entends ne sont des croyances. Il y a assez de gloire dans notre véritable passé sans avoir besoin d'en fabriquer à travers des fables mirobolantes. »
Juvat jeta un œil alentour, et vit qu'elle venait de perdre la couronne. Elle se tut un moment, puis déclara dans un grondement : « Vous pensez que Kahless, le sauveur de notre peuple, est un mythe ? »
Le silence s'abattit sur la pièce. Kalol prit une profonde inspiration, mais resta sans voix.
« Parce que si c'est le cas, alors vous ne croyez pas en la culture klingonne. Vous êtes convaincu que notre histoire est un mensonge, que nos ancêtres étaient des imbéciles. Que les milliards d'entre nous qui ont effectué la traversée sur la barge vers le Sto'Vo'Kor l'ont fait par dévotion aveugle envers des contes et légendes. Vous crachez sur tout ce que sommes, et tout ce que nous sommes devenus : la preuve que l'une des plus grandes civilisations de cette galaxie est née parmi ces prétendus mythes. »
La foule explosa en une déferlante de malédictions et d'injures, toutes dirigées vers Kalol. Le regard du scientifique fit le tour de la salle, mais il n'y trouva nul refuge pour échapper aux yeux injectés de sang de son peuple. Se retournant à demi, il baissa la tête vers sa table, mais même les hommes qui l'accompagnaient semblaient désormais vouloir éviter d'être associés avec lui. Il fit à nouveau face à Juvat avec un grognement, mais se faufila vers la sortie sans demander son reste. La porte se referma brutalement derrière lui, laissant Juvat seule maîtresse à bord.
Elle retourna au bar et replongea sa coupe dans la cuve de vin de sang, mais quatre choppes supplémentaires furent servies avant même qu'elle ait eu le temps de s'asseoir. Elle sourit et but goulûment ses offrandes tout en savourant sa victoire. Les guerriers se battent avec des bat'leths, les scientifiques brandissent leurs preuves, mais l'arme d'un chantre des traditions est sans conteste la plus puissante de toutes.
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[PC] Chantre des traditions